Compte Rendu de la conférence du 9 mars 2015 à 20h30 – salle polyvalente de La Tour Blanche

 Les débuts du christianisme en Périgord (IVème – Xème siècle)
Par Hervé Gaillard du Service Régional d’Archéologie d’Aquitaine

Une assistance très nombreuse a écouté avec attention la conférence d’Hervé Gaillard.          
 A travers une approche historique et archéologique, il nous a fait vivre les débuts du christianisme en Périgord à partir du IVème siècle. Il nous a également fait partager les axes de recherche d’aujourd’hui pour mieux connaitre cette époque.
L’approche historique
La période du haut moyen-âge rebute les historiens car elle est caractérisée par un véritable désert documentaire, notamment entre le VIème et le Xème siècle. La recherche historique peut toutefois s’appuyer sur quelques sources telles que :
-    les correspondances d'Ausone, poète et rhéteur de l’université de Bordeaux au IVème siècle, avec des aristocrates de l’époque,
-    l’Histoire des Francs publiée par Grégoire de Tours,
-    les récits de la vie des Saints, pas toujours intéressants, voire polémiques comme dans le cas de Saint Front.
-    l’histoire du christianisme en Périgord, écrite par le Père Dupuy au 17ème siècle, ainsi que d’autres écrits d’ecclésiastiques.
Il en ressort que :
-    au IVème siècle, la culture romaine s’épanouit en Périgord et se marie avec les débuts du christianisme dans cette région,
-    c’est aussi à cette époque que le christianisme devient licite dans l’Empire Romain, s’est imposé, et a structuré la place de l’homme dans notre société.
Au-delà de ces faits, la recherche historique sur les débuts du christianisme en Périgord s’intéresse à différents aspects :
Les problématiques du haut moyen-âge
-    quel crédit accorder à la vie des saints ?
-    quel est le rôle de l’évêque en Périgord et comment évolue ce rôle ?
-    comment s’est diffusée cette nouvelle religion, en ville et à la campagne ?
-    quand placer l’émergence de la paroisse ?
-    pourquoi n’y a-t-il pas eu de mouvement monastique important et précoce en Périgord ?
-    pourquoi y-a-t-il peu de traces d’édifices bâtis chrétiens du haut moyen-âge ?
Les facteurs d’adhésion à cette nouvelle religion
-    la croyance en la survie de l’âme humaine partagée par d’autres cultes, orientaux notamment,
-    les valeurs morales véhiculées par cette religion,
-    le long apprentissage nécessaire pour devenir chrétien (au moins 3 ans pour accéder au baptême). On ne devient chrétien qu’à l’âge adulte.
-    Les rites et sacrements qui rythment la vie des chrétiens,
-    Une religion très organisée encadrée par un clergé.
Le dogme chrétien
La religion chrétienne est une religion savante portée par des lettrés. Elle suppose d’adhérer à un dogme c’est-à-dire d’être d’accord avec tous les préceptes et pratiques de ce culte. L’affirmation de ce dogme a conduit à des divergences voire à des déviances comme l’arianisme né au début du IVème siècle. L’Arianisme affirme que si Dieu le père est divin, son fils Jésus est d’abord humain, mais un humain disposant d’une part de divinité. Cela revient à dire que Dieu le père n’est pas consubstantiel de son fils Jésus qui a été créé et que Dieu le père seul est éternel. Les ariens s’opposent en cela aux trinitaires qui croient que Dieu est tout à la fois père, fils et esprit, et qui reprochent aux Ariens de croire en deux dieux, le premier qui n’a pas été créé et le second qui a été créé.
Le premier concile de Nicée convoqué par Constantin en 325, rejeta l’arianisme qui fut dès lors qualifié d’hérésie par les chrétiens trinitaires.
En Périgord, c’est Hilaire de Poitiers qui a combattu le rite arien et milité pour l’orthodoxie catholique.
Les dates-clé
313 : édit de tolérance de Constantin. Le christianisme devient licite dans l’Empire Romain.
395 : l’empereur Théodose fait du christianisme une religion d’état.
Cet acte fondateur va permettre de     structurer le clergé dans les provinces romaines                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   
     Apparition des évêques.
406-409 : invasions des Vandales et des Goths qui ne déstabilisent pas pour autant l’empire romain,
418 : l’empereur installe les Wisigoths en Aquitaine. Ces derniers sont ariens. Ils prêchent donc l’hérésie et vont se confronter au clergé local. Leur occupation va durer 80 ans.
507 : à l’appel des prélats, Clovis  expulse les Wisigoths d’Aquitaine. Le culte catholique orthodoxe est rétabli.
Le christianisme à la ville
Très organisé, le christianisme se structure dans chaque province autour d’un clergé et d’un territoire : le diocèse. L’évêque est à la tête du diocèse. Périgueux devient le chef-lieu du diocèse de Périgord.
Après Front, fondateur du diocèse, Paternus est le 1er véritable évêque de Périgueux. Il est arien et sera déposé à l'initiative d'Hilaire de Poitiers. Après Paternus, des évêques orthodoxes, dont Pégase, résistent aux envahisseurs germains en tenant les villes et en affirmant l’orthodoxie catholique. Les Wisigoths ariens installés en Aquitaine ne nomment pas d’évêque après Pégase. Il faudra attendre Clovis en 506 et l’arrivée de Chronope pour une refondation de l’église périgourdine au début du VIème siècle. C’est l’époque où l’Eglise se structure réellement sur le plan liturgique. Un grand blanc suivra à nouveau jusqu’à l’arrivée de l’évêque Frotaire nommé par un roi capétien. Fondateur de la Collégiale St Front, Frotaire sera un évêque investi dans son siècle, bâtissant de nombreux châteaux dans les vallées de l'Isle et la Dordogne pour résister aux envahisseurs scandinaves.
Vers 1500, le quart de la surface de la Cité de Périgueux délimitée par l'enceinte antique, est occupé par le Groupe cathédral comprenant la cathédrale St Etienne, la maison de l’évêque et le baptistère. Cette empreinte foncière intra-muros dut être la marque d'une installation précoce à l'intérieur du rempart, sans doute dès l'Antiquité tardive.
Le christianisme à la campagne
Suivant une idée fausse, la pénétration du christianisme dans la campagne périgourdine aurait été plus tardive que dans les villes. Cela provient d’une assimilation linguistique du mot pagus qui veut dire pays en latin, les habitants du pagus étant des païens ou paysans en français. En fait, les principaux propagateurs du christianisme ont été des aristocrates et des prélats qui étaient des propriétaires terriens. Ils ont fondé des églises dans leurs vastes domaines ruraux qui étaient des écrins de la vie intellectuelle païenne mais aussi chrétienne. Dans ces palais ruraux, comme la villa de Montcaret, il y a des décors d’inspiration païenne. Certaines comportent très nettement des signes d’inspiration chrétienne comme la villa de Gaubert à Terrasson.
L’approche archéologique
Elle repose sur l’étude des nécropoles, des modes d’inhumation, et des édifices de cultes antérieurs à l’an 1000.
Les sarcophages de l’école d’Aquitaine
Il s’agit de contenants en marbre des Pyrénées qui malgré leur poids ont été transportées jusque dans le Nord de la France. Ces sarcophages qui pouvaient être sculptés sur 4 faces, étaient des objets de dévotion en recevant la dépouille de saints personnages. C’est le cas du sarcophage trouvé à Lamonzie autour duquel a été découvert une nécropole très importante. D’autres nécropoles ont un côté énigmatique. C’est le cas de celle de St Laurent des hommes qui comporte 360 tombes dont les corps ont disparu du fait de l’acidité du sol, mais pas les objets qu’ils portaient. Ces derniers ont permis de déterminer que la tête était à l’ouest et les pieds à l’est. Il ne faut pas exclure ici l'adaptation à un rite chrétien, bien que des objets accompagnant les défunts soient de culture wisigothique. Cette nécropole permet de supposer qu’elle était entourée d’une communauté de vivants très importante.
Les nécropoles familiales
On a également découvert des nécropoles familiales. C’est le cas de celle de Paussac qui comporte 28 sépultures.
Les traces antérieures à l’an 1000
Elles concernent :
-    Une pierre au Fleix trouvée dans un mur et comportant un chrisme et une inscription en latin renseignant sur l’édification d’une église à proximité des limites du diocèse de Bordeaux.
-    Le vocable (saint patron) qui a donné son nom à la paroisse. Avec certains d'entre eux,  il est possible d'évaluer la période de fondation de l'église, mais il faut manier ces sources tardives avec précaution.
-    L’église de Vicq qui est aujourd’hui désignée comme une église du 19ème siècle, mais qui porte les traces d’une église plus ancienne, datant du 10ème siècle. Des sondages ont par ailleurs mis en évidence des traces d’une importante nécropole sur ce site.  Le cas de Vicq pourrait orienter les recherches pour de nombreuses autres églises du Périgord.
Tous ces indices montrent que le Périgord a été un foyer important du développement du christianisme entre le IVème et le Xème siècle. Il a dû aussi bénéficier d’un clergé séculier conséquent, ce qui expliquerait l’absence d’un mouvement monastique précoce dans notre région.
Bruno Déroulède