Compte rendu de la conférence du 12.10.2015



Voyage immobile avec les peintres dans l’Italie du XVIIe siècle


 Ce 12 octobre 2015, nous étions nombreux pour écouter Laurent Bolard, invité du Club Histoire de La Tour Blanche. Docteur en Histoire de l’Art, spécialiste de la peinture Italienne des XVIème et XVIIème siècles, il nous a convié à un voyage immobile, mais ô combien passionnant et illustré par différents tableaux. Avec l’art du conteur, il nous a transporté dans le siècle de Louis XIV et nous a fait endosser l’habit du peintre de cette époque.

Originaire de France, des Pays Bas, de Flandre ou d’Allemagne, ce peintre est plutôt jeune. Il a soif de la belle et douce Italie, et plus particulièrement de Rome, capitale de la Chrétienté, mémoire de l’antiquité, haut lieu des arts contemporains d’alors, ville artistique et religieuse par excellence. Rome, c’est en outre la ville des mécènes et notamment des prélats susceptibles d’acheter des œuvres. C’est aussi la ville où il y a d’avantage de numéraire qu’ailleurs car on y pratique la charité. Il est donc plus facile d’y vendre. C’est enfin la ville où il faut être allé pour se faire un nom comme peintre.

Mais en ces temps agités, le plus difficile est de partir, et d’y arriver par terre ou par mer. De multiples dangers guettent le voyageur : les guerres, les épidémies, les voleurs, et les tracasseries administratives aux frontières des différents états italiens. Il n’est donc pas recommandé de partir seul. De nombreux artistes se glissent dans la suite d’un personnage important, ecclésiastique, ambassadeur, aristocrate. D’autres partent avec des amis ou accompagnent les voyageurs les plus divers.

Le voyage par mer est le plus rapide. Il débute à Marseille ou Toulon pour aller directement à Rome, ou longer la côte de façon à limiter les risques. Le voyage est souvent mouvementé du fait des tempêtes ou des pirates barbaresques. Il est la plupart du temps très inconfortable : promiscuité, mauvaise nourriture, partage du peu d’espace avec des animaux. On dit à l’époque qu’il faut être dépravé pour se lancer dans une telle aventure.

Le voyage par terre n’est pas moins angoissant. Il faut traverser les Alpes, une montagne qui fait peur. Le risque est aussi de rencontrer des bandits prêts à tout pour rançonner le voyageur. Il était donc recommandé d’emprunter des itinéraires « figés » plus faciles à surveiller par la police. Un itinéraire classique consistait à passer par le Mont Cenis, la vallée du Pô, Florence, Sienne et enfin Rome, voire Naples. L’hébergement en chemin avait par ailleurs très mauvaise réputation.

Une fois en Italie, les artistes séjournent principalement dans trois villes :

Venise, la ville sans muraille qui n’a pas encore été prise par des étrangers. C’est la ville de deux grands peintres : Le Titien et Véronèse. Les peintres y sont sensibles aux reflets sur la lagune. Mais les jeunes artistes sont aussi attirés par les célèbres courtisanes de Venise, des prostituées pour lesquelles les autorités ont édité un catalogue avec descriptif, adresses, tarifs, …., et puis à Venise, il y a aussi le carnaval, les sorties romantiques en gondoles, etc.

Naples, un paradis habité par des diables (les Napolitains ?). Le Caravage y a séjourné. Français et Flamands y sont assez nombreux. Les artistes y sont attirés par la lumière, par la beauté des paysages, et par les yeux dévorants des belles Napolitaines ….

Rome, la ville éternelle. Les artistes y arrivent par la Piazza del Popolo, comme aujourd’hui. Ils trouvent à se loger dans les couvents, l’entresol des palais, les hôtelleries, ou y louent une chambre, essentiellement dans le quartier du Trident. Ce quartier est délimité par les trois grandes rues qui partent de la Piazza di Popolo en dessinant un trident. C’est là que se trouvent auberges, tavernes et courtisanes, des facteurs puissants d’intégration. Les peintres se regroupent souvent par paroisse. Les Français sont dans celle de San Lorenzo in Lucina. On vit surtout le soir au son de la musique des tavernes, s’adonnant au plaisir de la boisson et des courtisanes.

A Rome, les artistes sont encadrés par une académie de peinture, l’Académie Saint Luc. Elle réglemente de façon assez sévère la vie des artistes en favorisant les Italiens.
Les peintres flamands avaient donc créé leur propre association où régnait une ambiance de fête permanente, avec rituels orgiaques et farces carnavalesques.
Les Français se rassemblent dans l’Académie de France à Rome, qui existe toujours.
Tous subissent des influences, surtout celles du Caravage qui a bouleversé la peinture de son temps.

A Rome, les artistes travaillaient en privilégiant l’atelier. Ils dessinaient et peignaient aussi à l’extérieur pour capter la lumière romaine, peindre des scènes de la vie quotidienne, mais aussi des fermes, des fleuves, des paysages (voir affiche de la soirée). Ils devaient aussi honorer les commandes des mécènes qui leur demandaient de reproduire les œuvres les plus célèbres de l’époque afin de les avoir chez eux. Les palais étaient facilement ouverts aux artistes à cet effet. Les mécènes romains recherchaient surtout des peintres de fresques.
Les peintres copiaient aussi les antiques, tel Poussin qui a peint la colonne Trajan de Rome.
La concurrence est très vive. Quelques peintres sortent du lot comme Claude Lorrain surchargé de commandes par le Pape et Philippe IV d’Espagne, ou Nicolas Poussin.

Rome est finalement la seule ville où il y a un marché de l’art. Les artistes peuvent donc y vivre de leur peinture, notamment avec les vedute. Il s’agit d’évocations de villes de paysages, très prisées par les voyageurs qui veulent emporter un souvenir d’Italie.

En définitive, conclut Laurent Bolard, les peintres goutent à Rome « l’éternel bonheur de vivre dans la ville éternelle». 

Bruno Déroulède.

 





 Photos de la soirée ( cliquer pour agrandir)