CR de la conférence du 21 03
2016
L’histoire
de la cartographie
Ou
comment, nous avons peu à peu perçu notre monde
Cette
passionnante histoire nous a été présentée le 21 mars 2016 par
Alain Reilles* dans le cadre du Club Histoire de La Tour Blanche
devant environ 80 personnes.
Des premières plaquettes d’argile de
Mésopotamie à la naissance de la cartographie moderne au 18ème
siècle, en passant par le génie scientifique de la Grèce antique,
l’approche utilitaire des Romains, et le dogmatisme du haut
moyen-âge chrétien, il nous a fait comprendre comment nous nous
sommes peu à peu appropriés notre monde.
Les
1ères cartes 2500 ans avant notre ère
Les
babyloniens furent vraisemblablement les premiers à fabriquer des
cartes : découverte en 1930 d’une carte datant de 2500 ans
avant JC, représentant la vallée de l’Euphrate. Les Chinois
auraient réalisé des cartes 2000 ans avant JC. Dans l’Egypte
antique, des relevés cadastraux sont effectués 1500 ans avant JC
pour retrouver les parcelles suite aux inondations du Nil. A
l’époque, l’homme cherche à représenter le monde proche qui
l’entoure.
Les
avancées remarquables de la Grèce antique
Au
4ème
siècle avant JC, Aristote pressent la sphéricité de la terre en
notant la forme incurvée de l’ombre qu’elle projette sur la
Lune. Un siècle plus tard,
Eratosthène
utilise la géométrie pour calculer avec une remarquable précision
la circonférence de la terre. Il mesure l’angle du soleil par
rapport au zénith au moment du solstice d’été à Alexandrie. Il
en déduit le rayon de la terre (6 400 km) et donc sa
circonférence. Il en déduit également l’inclinaison de son axe
nord-sud de rotation (23°). A partir de là, et des observations et
mesures réalisées par d’autres Grecs (Pythéas de Marseille
notamment), il établit une première carte du monde connu comportant
des coordonnées de latitude et de longitude, à partir d’axes
orthogonaux ayant pour origine Rhodes. Sa carte sépare le Nord et le
Sud par le parallèle de Rhodes. Il y ajoute 7 autres parallèles
déterminés grâce à la hauteur du soleil à midi. Il y positionne
aussi des méridiens perpendiculaires aux parallèles. Son méridien
origine passe par Rhodes, Alexandrie et Syène (Assouan aujourd’hui).
Le summum de la cartographie grecque est dû à Ptolémée.
Il calcula la latitude et la longitude de 8 000 points sur la
terre, ces coordonnées étant tirées d’itinéraires de voyage. Il
détermina en outre astronomiquement, 350 points de références et
utilisa la projection d’un hémisphère sur un cône. Ces points
lui permirent d’élaborer une grande carte du monde qui sera à la
base de tous les travaux cartographiques qui suivront.
La
cartographie très utilitaire des Romains
Après
les Grecs, les Romains ont une vision différente de la cartographie.
Les cartes romaines décrivent des itinéraires. La carte de
Peutinger (chancelier d’Augsbourg qui révéla cette carte au XVème
siècle) est un parchemin de 6,84 m x 0,38 m. Réalisé en 250 après
JC, ce serait une copie de la carte du monde peinte sur le portique
d’Agrippa à Rome, vers 12 après JC. Le but du cartographe romain
était de fournir au voyageur une carte routière qui indiquait les
distances exactes entre les villes. Très étirée, elle n’a pas
vocation à représenter les éléments physiques dans leurs bonnes
proportions, mais de renseigner sur le système routier de l’Empire
Romain.
*ancien
professeur de mécanique, président de l’Association Périgourdine
d’Action Culturelle
L’approche
dogmatique du Haut Moyen-Age Chrétien
La
Chrétienté naissante met fin aux avancées de la Grèce antique
pour imposer sa propre vision du monde. La carte TO, caricaturale,
fut le schéma immuable du monde habité (Œcoumène) qu’avaient
adopté les théologiens du moyen-âge. Plus qu’une représentation
utilitaire, elle était une expression de la foi chrétienne. La
carte est schématisée par un T à l'intérieur d'un O selon les
mots latins : Orbis Terrarum,
disque de la terre. La lettre O
représente l'océan qui entoure la Terre plate.
Sur cette carte, le nord
(Septentrion) était à gauche, l'est (Oriens) en haut avec le
Paradis (d'où l'expression «orienter" une carte), le sud
(Méridien) à droite et l'ouest (Occidens) en bas. On y distinguait
les trois continents (Europe, Asie
et Afrique) séparés par des mers formant un "T" avec au
centre la sainte ville de Jérusalem.
L'Église rejettera systématiquement les bases scientifiques érigées
par les Grecs, elle combattra l’idée
d’un monde héliocentrique (il était dérangeant que le terrien
homme ne soit pas dans une planète au centre de l'univers)
Le
tournant des grandes découvertes
La
vision très restrictive de la Chrétienté naissante va évoluer
avec les grands explorateurs et le développement du commerce. Du
7ème
au 9ème
siècle, les Arabes commercent beaucoup. Ils récupèrent les
connaissances des grecs, les rapprochent de leurs propres
observations et façonnent leur vision de la cartographie. Al-Idrisi
né au Maroc en 1100 entreprend un important travail de compilation à
la demande du roi de Sicile. Au milieu du XIIème siècle, il
réalise un planisphère géant avec le sud en haut, ainsi qu'un
atlas comprenant 70 cartes du monde connu, de l'Europe à l'Afrique
et à la Chine. A partir du 13ème
siècle, Marco Polo et Ibn Battula repoussent les limites du monde
connu ; les échanges maritimes se développent et génèrent
le besoin de faire des cartes pratiques et réalistes. Gènes,
Venise, Palma, Barcelone réalisent des portulans, c’est-à-dire
des cartes marines ; elles intègrent la boussole arrivée en
Occident en 1302. En 1375, l’atlas catalan marque un nouveau
progrès de la cartographie. A partir du 15ème
siècle, la prise de Constantinople par les Turcs rend de plus en
plus difficile le commerce occidental (notamment celui des épices)
vers les Indes. Le roi portugais Henri le navigateur entreprend donc
d’atteindre l’extrême orient en contournant l’Afrique. Cela
nécessite de représenter les voies maritimes sur des cartes. En
1492, Martin Behaïn, formé à l’école portugaise, construit à
Nuremberg l’un des premiers globes terrestre. Ce globe montre la
face inconnue du monde (l’envers de l’œkoumène), mais
l’Amérique n’y figure pas. Le Génois Christophe Colomb utilise
ce globe pour convaincre le roi d’Espagne de joindre les Indes en
traversant l’atlantique. Cela le conduira à découvrir l’Amérique
et à faire franchir une nouvelle étape à la cartographie. A la fin
du 16ème
siècle, l’Allemand Merkator puis les Hollandais Hondius et
Ortélius mettent au point des systèmes de projection permettant de
réaliser des cartes de plus en plus précises.
La
naissance de la cartographie moderne, notamment en France
En
1680, le Cardinal d’Estrée, ambassadeur de Louis XIV à la cour de
Rome, demande au Vénitien Coronelli de réaliser deux globes, l’un
terrestre, l’autre céleste, pour les offrir au Roi. D’un
diamètre de 4 m, ils sont visibles à la BNF. De 1668 à 1815, les
Cassini sont à l’origine d’avancées remarquables en matière de
cartographie. En 1718, grâce aux progrès de l’instrumentation,
ils mesurent par triangulation le méridien de Paris. Ils réalisent
également par triangulation la première carte du Royaume de France
dans son ensemble. L’Abbé Picard, puis Delambre et Méchain
(1791), définissent le mètre par rapport au méridien Dunkerque /
Barcelonne. La Condamine et Maupertuis mesureront l’aplatissement
des pôles. Localement, Pierre de Beleyme (1747-1819) cartographiera
le sud-ouest français en représentant le relief. Plus tard, le
géographe et anarchiste Elisée Reclus (1830-1905) éditera sa
géographie en 19 volumes, en abordant les aspects humains et
écologiques. Elle est conservée à Périgueux.
La
mesure de la longitude devient précise en 1736, grâce à l’horloge
de John Harrison qui varie de moins d’une seconde par jour et
permet de comparer l’heure solaire du navire à l’heure de
départ. Dès lors, le contour des continents pourra être défini
avec une précision de l’ordre du km.
A
la fin du 19ème
siècle et au 20ème
siècle, le ballon puis l’avion et les satellites ouvriront de
nouvelles perspectives à la cartographie.
Bruno
Déroulède
Images de la soirée.