C.R Conférence du 24 septembre 2016




De Guillaume IX à Aliénor d’Aquitaine
Par Katy Bernard, Maître de Conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne
Spécialiste de l’Occitan moderne et médiéval

La conférence de Katy Bernard, passionnée par les troubadours, fut un moment fort de l’après-midi très réussie du 24 septembre 2016, organisée par le Club Histoire de La Tour Blanche. Avec talent et enthousiasme, elle a su séduire et transporter au 12ème siècle les 80 personnes présentes, en rapprochant matière historique et matière littéraire, et en montrant le fil conducteur entre Guillaume IX, un personnage mythique et haut en couleurs du début du 12ème siècle et sa petite fille : la grande Aliénor d’Aquitaine.
Guillaume IX, le Duc en scène
Né en 1071, Guillaume n’a que 15 ans quand il doit succéder à son père à la tête de l’Aquitaine. Il va devenir un grand politique et un grand poète. Personnage exceptionnel détaché des convenances de son temps, il est qualifié de bifrons et représenté soit en grand seigneur guerrier portant les armoiries germaniques de ses ancêtres, soit en tenue bleue et blanche (couleurs de la noblesse) en train de chanter des chansons grivoises ou des chansons courtoises.
Pour donner la dimension du personnage, Katy Bernard a lu en occitan et en français une chanson de Guillaume qu’elle date de 1111 ou 1112. Il y évoque sa fin prochaine suite à des blessures occasionnées par une violente dispute avec des vassaux, et y parle de son fils de 10 ans encore trop jeune pour lui succéder (le future Guillaume X, père d’Aliénor). Il y fait aussi amende honorable, après une vie marquée par la révolte et la paillardise qui l’a conduit à être excommunié deux fois.
Très bien soigné, il vivra jusqu’en 1126.
Aliénor, petite-fille de Guillaume IX
Elle nait en 1124 alors que son grand-père est encore en vie. Elle vient au monde dans la cour brillante d’un grand poète. Pour Katy Bernard, c’est la source de son intérêt futur pour les troubadours.
Ce n’est qu’en 1137 (année de la mort de son père Guillaume X), que l’on trouve la première marque d’Aliénor d’Aquitaine dans une chanson. Il s’agit de la première complainte de l’histoire troubadouresque dédiée à Guillaume X, où Cercamon son auteur, évoque Aliénor comme progéniture, c’est-à-dire comme le prolongement de son père.
Aliénor, épouse du Roi de France
Aliénor est couronnée reine des Francs à Noël en 1937. Son mariage avec Louis VII, le Roi de France n’est pas une réussite. D’esprit libre et enjoué, Aliénor déplait à la cour de France. On attribue les échecs du roi aux mauvais conseils de sa femme. Le principal d’entre eux est celui de la 2ème croisade (1ère croisade conduite par le roi et la reine de France). Lors de l’arrêt de la croisade à Antioche, il est reproché à Aliénor ses relations avec son oncle Raymond de Poitiers, prince d’Antioche, qui auraient été jusqu’à l’adultère. Aliénor dit alors publiquement qu’elle souhaite se séparer du roi, ce qui revient à le répudier, chose inimaginable à l’époque.Il semble que les poètes, tels le jongleur Marcabru, qui ont critiqué Louis VII d’être parti en croisade, ont eu dans leurs écrits la préscience de ce qui allait arriver. En 1151, Aliénor rencontre Henri Plantagenêt, jeune duc de Normandie et futur roi d’Angleterre, pour lequel elle aurait eu un coup de foudre.
Aliénor, duchesse d’Aquitaine et reine d’Angleterre
Le 18 mai 1152, soit huit semaines après l’annulation de son mariage avec Louis VII, Aliénor épouse le futur Henri II de 10 ans son cadet. On en fait une midinette mais elle est aussi stratège. Elle épouse celui dont les terres jouxtent les siennes et qui est potentiellement le futur roi d’Angleterre. Deux ans plus tard, c’est chose faite. Le 19 décembre 1154, Henri et Aliénor sont couronnés roi et reine d’Angleterre. Cinq enfants vont naître de cette union dont Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, et pendant près de 20 ans, ils vont gouverner ensemble de vastes territoires et construire l’empire Plantagenêt. Ils créent aussi une vie culturelle sans précédent.
Une ballade du 12ème siècle (faite pour danser) raconte la rencontre entre Henri et Aliénor. Elle va traverser les siècles.
Henri II et Aliénor vont aussi susciter la légende du roi Artur dont descendrait Henri. Ils font en sorte que de simple guerrier, il devienne le roi des rois. L’Anglo-Normand Wace traduit et enrichit l’œuvre de Monmouth et fait naître « La Table Ronde ». Henri II et Aliénor vont « surfer » sur l’image d’Artur jusqu’aux règnes de Richard et de Jean.
D’autres œuvres sont créées en leur honneur ou pour leur plaire. En 1155, le Normand Benoit de Sainte-Maure fait, sans la nommer, l’éloge d’Aliénor dans son Roman de Troie.
Le troubadour Bernard de Ventadour, véritable « rock star de l’époque, lui dédicace l’une de ses chansons en faisant le lien avec la chanson de Guillaume IX sur la joie.
Ces belles années ne vont pas durer.
Aliénor prisonnière
L’année 1173 marque un tournant. Considérant qu’Henri II réduit trop son espace de reine, Aliénor se révolte avec ses fils Richard, Geoffroy de Bretagne et Henri le Jeune. La révolte dure neuf mois. Henri II la surmonte grâce à une armée de mercenaires. Aliénor est emprisonnée. Sa captivité va durer 16 ans, jusqu’à la mort d’Henri II en 1189.
Après 1173, les traces d’Aliénor dans la littérature semblent disparaitre. Seuls ses enfants sont chantés par Bertrand de Born. Richard, emprisonné à son retour de croisade, va témoigner de l’héritage de son arrière-grand-père (Guillaume IX) en composant une chanson destinée à pousser ses vassaux à réunir une rançon pour le délivrer. Il s’inscrit ainsi dans la tradition des guerriers-poètes. C’est finalement sa mère Aliénor qui réunira la rançon.
Dernières années
Aliénor se retire en 1200 à l’abbaye de Fontevraud. Elle meurt à Poitiers en 1204 à l’âge de 80 ans. Son empreinte sur la littérature du 12ème siècle est incontestable. Elle fut inhumée à Fontevraud où l’on peut voir son gisant aux côtés de ceux d’Henri II et de ses fils Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre.
Bruno Déroulède, le 16 octobre 2016




La conférence a été suivie d’un entracte d’une ½ heure pendant lequel les participants ont pu acheter les ouvrages de Katy Bernard, emprunter des livres de la Bibliothèque Départementale de Prêt proposés par les animatrices de la bibliothèque de La Tour Blanche, et échanger autour d’un café et/ou d’une pâtisserie.
La deuxième partie de cet après-midi était consacrée à la musique médiévale servie par le prestigieux groupe Tre Fontane.
Leur concert, intitulé « Le Duc en scène », organisé à partir des poèmes du Duc-troubadour Guillaume IX d’Aquitaine, a enchanté le public. Les quatre artistes de ce groupe, Laurence Benne récitante (Français/Occitan), Hermine Huguenel au chant, Thomas Bienabe à l’oud et récitant (le Duc), Pascal Lefeuvre à la vielle à roue ont donné le meilleur d’eux-mêmes.
La voix magnifique d’Hermine Huguenel, accompagnée par des instrumentistes hors pair et les récitants ponctuant les parties musicales ont fait de cette soirée une soirée dont on se souviendra. Merci aux artistes !
Gabriel Duverneuil


Katy Bernard
Pré Fontane