L’histoire du Chevalier de Cherval


Il est des personnages de l’Histoire, dont la vie n’a pas fait l’objet de longues études d’universitaires de renom, mais dont l’existence et les aventures valent la peine d’être racontées. Il en est ainsi, me semble-t-il de Louis-Marie de Lageard, chevalier de Cherval, né le 10 janvier 1756 à Pont-à-Mousson. Il était le fils de Raphaël, comte de Lageard, seigneur de Cherval et autres lieux, 1er seigneur des Bories, chevalier de Saint-Louis, baptisé en l’église de Cherval le 23 avril 1690, et de Marthe-Louise Ragot. 

Après une longue carrière militaire, Raphaël était commandant à Pont-à-Mousson en Lorraine ; entre 1737 et 1758, il procréera une fratrie de neuf, peut-être dix, dont les garçons, sauf l’aîné, ont tous servi dans les armées hormis un prêtre. Louis-Marie fut admis au collège royal de La Flèche en 1763 puis, en 1770, à l’école militaire des Cadets de La Flèche et en sortit quatre ans plus tard comme sous-lieutenant affecté au régiment de dragons de Port au Prince à Saint-Domingue. Il est décoré de l’ordre de Saint-Lazare pour sa conduite et son zèle. 

Victime du mal du pays (il n’avait pas revu sa mère depuis 11 ans) il tombe malade et sollicite une permission d’un an pour se rendre en France afin de se rétablir, notons qu’il n’a que 19 ans. Les archives de la marine royale montrent que sa demande, appuyée par la duchesse de Mailly, sa protectrice, ira jusqu’au ministre Antoine de Sartine. Cherval obtient finalement un premier congé en 1775 (voir annexe), rentre en France, vraisemblablement à Orléans auprès de son frère Benjamin-François, ex-vicaire général de Reims, puis abbé de la Cour-Dieu, diocèse d’Orléans. Là, le docteur Mounier diagnostique une fièvre quarte (voire annexe), peut-être le paludisme, peut-être, dirait-on aujourd’hui, d’une forte dépression nerveuse ou les deux ; ensuite, il obtiendra une prolongation d’un an. En haut lieu, on le soupçonne de folie, de même que deux de ses frères. Peut-être faute d’une nouvelle affectation, il démissionne le 20 février 1778.

La même année, la France déclare la guerre à l’Angleterre et les hostilités sur mer, y compris dans l’Océan Indien, dureront jusqu’en juillet 1783. Il semble bien qu’un peu plus d’un an après son départ, le Chevalier ait repris du service, car le 27 décembre 1779, il est lieutenant de frégate à pied. Six mois après, le 5 juillet 1780, la frégate La Capricieuse est chassée dans les eaux du cap Finisterre, au large de la Corogne en Galice, par deux frégates anglaises, la Prudente et la Licorne; le commandant Le Breton de Ransanne, qui en 1772 était encore capitaine de fusilliers et son second le Chevalier de Chapelle Fontane ayant été tués, c’est le lieutenant de frégate de Cherval qui, quoique blessé, prend le commandement mais le vaisseau étant détruit, il doit se rendre ; le bâtiment est tellement endommagé que les Anglais le brûlent et le coulent plutôt que de prendre la peine de capturer son épave. Prisonnier, incarcéré et soigné par les Anglais dans la Mill’s Prison de Plymouth, où il ne restera guère, il sera peut-être, échangé selon la coutume. 

Le 1er février 1781, Cherval est nommé capitaine de brûlot(1), transféré de Dunkerque à Brest et sert à bord du vaisseau l’Indien, un 64 canons lancé en 1768. Le 20 juin 1783 à bord du Hardi (voir annexe) un vaisseau de 64 canons, lancé en 1751, il participe à la bataille de Gondelour près de Pondichéry avec l’escadre du bailli de Suffren, amiral d’escadre à bord de son vaisseau le Hannibal doté de 74 canons (lancé à Brest en 1779). Il est à noter que l’escadre est rejointe par la fameuse frégate l’Hermione (2). Une fois encore, Cherval est blessé assez gravement. En 1785, il est lieutenant à bord de la frégate la Minerve commandée par le Chevalier de Ligondès ; le 21 juin, le bâtiment mouille en rade d’Alger, le commandant a pour mission le rachat au bey d’Alger de 313 Français enlevés et retenus en esclavage. En 1786, Louis-Marie est promu lieutenant de vaisseau et compte 5 campagnes et deux combats. Il embarque en décembre 1787 à Lorient sur la frégate la Dryade, commandée par le comte Guy Pierre de Kersaint de Coëtnenpren, qui le mènera, via l’île Maurice et Pondichéry, en mer de Chine, afin d’accompagner l’évêque d’Adran, Pierre-Joseph-Georges Pigneaux de Béhaine (voir annexe), nommé par Clément XIV vicaire apostolique de Cochinchine et du Cambodge et le jeune prince de Cochinchine, Canh (3), fils du prince Nguyen-Phuoc-Anh, qui a mandaté l’évêque pour défendre ses intérêts auprès de Louis XVI et confié son fils en guise de lettres de créances. Au retour, c’est à bord de la Dryade, que, malade, Louis-Marie est débarqué en novembre 1790 à l’île Bourbon (la Réunion), dans l’archipel français des Mascareignes. Il passe la Révolution à l’île de France (Maurice), où il s’installe et se marie le 28 août 1792 avec Anne-Marie-Elisabeth Collard (4), aux Pamplemousses au nord-ouest de l’île. Ils auront quatre enfants, dont trois fils : Louis, Ludovic-Raphaël, Elisabeth-Louise et le dernier, Marie-Raphaël Adalbert en 1815. 

Étant membre de l’Assemblée coloniale, le général Decaen, administrateur des Mascareignes, le nomme commandant en second, puis commandant en 1809 du quartier de Grand Port où il s’est installé. A la suite de la défaite maritime britannique, il est chargé de reprendre possession de l’île de La Passe en août 1810. La même année, lors de l’attaque anglaise contre l’île Maurice, il fut l’un des premiers à prendre les armes et ne les déposa qu’après la capitulation française en 1814. L’île sera rétrocédée à la France quatre ans plus tard...puis reprise. Il semble bien qu’à l’instar de nombreux membres de la noblesse, sous la Révolution, le Chevalier ait supprimé sa particule et se soit appelé simplement Lageard, d’où sa plaque tombale. D’ailleurs, Chevalier de Cherval n’indique pas la noblesse, mais la provenance, je peux me dire : Vigne de Verteillac ! Louis-Marie de Lageard, chevalier de Cherval décède le 20 octobre 1834, près de Deux Bras à l’île Maurice, à l’âge respectable pour l’époque de 78 ans. Louis-Emmanuel de Lageard de Cherval, son petit-fils par Ludovic-Raphaël, lieutenant de vaisseau, né le 13 septembre 1836 à l’île Maurice, nommé chevalier de la Légion d’Honneur par décret du 11 août 1869, étant officier à bord de l’aviso Curieux. Il a épousé une dame de Cavalhès(5). Il ne figure plus sur les rôles en 1874, vraisemblablement rendu à la vie civile, qui n’a pas l’air de lui avoir réussi, car il est condamné le 2 avril 1878 pour malversations et faux en écriture et effectue deux ans de prison. Il est rayé des matricules par décret du 8 juin 1878. En 1872, il habitait Cherbourg.

Merci à mon épouse, à l’association historique de l’île Maurice, aux archives départementales de Meurthe et Moselle et à Madame Catherine et Monsieur Jean-Paul Léger pour leur aimable et précieuse collaboration.                                 André Vigne.

(1) Capitaine de brûlot était un grade entre, en gros, lieutenant de frégate et de vaisseau. Le brûlot était un navire chargé à l’avant d'explosifs ou de matériaux inflammables, lancé sur les vaisseaux ennemis pour les incendier. La plupart du temps, il s'agissait d'un vieux bâtiment, de petite taille (brick, sloop), ancien navire de guerre ou de commerce, transformé à cet effet. L’équipage,souvent commandé par un capitaine était très peu nombreux, entre 4 et 10, il dirigeait le navire vers l’ennemi puis, ayant mis le feu, l’abandonnait en sautant dans une chaloupe. 

(2) En 1782, la frégate l’Hermione emportait l’équipage suivant : le Commandant, 10 officiers d’Etat-Major, 44 personnels de maistrance, 35 soldats et sous-officiers, 29 surnuméraires (des civils), 152 hommes d’équipage et 31 mousses, soit un total de 302 personnes (arsenal de Rochefort).

(3) On trouvera avec intérêt une partie de cet épisode relaté dans l’ultime roman de Jean-François Parot, Le prince de Cochinchine, Jean-Claude Lattès, 2017.

(4) Biographie des célébrités de l’île Maurice par Auguste Toussaint.

(5) Jean-Marie Ouvrard (Blasons de la Charente) 


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