Louis-Marie chevalier de Cherval, le général Decaen, le comte de Durfort et le projet d'invasion de l'Angleterre de 1778

Depuis plusieurs années, mon épouse Nicole et moi travaillons sur un personnage issu des notables de notre village, puisqu’il s’agit de Louis-Marie  de Lageard, chevalier de Cherval. Nous avons déjà rendu compte de notre recherche sur le blog du Club. Suivent des compléments relatifs à d’autres personnages qui sont intervenus dans son aventure : le comte de Durfort et l’histoire du plan de débarquement de 1778 en Angleterre, le général Decaen et la bataille pour l’île Maurice contre les Anglais. Peut-être un jour faudra-t-il parler du baron de Suffren et de l’expédition en Extrême-Orient, du superbe musée de la Compagnie des Indes et d’autres choses encore, la recherche en Histoire étant infinie, ce n’est pas le travail qui manque.

 André Vigne.

 

Charles-Mathieu-Isidore Decaen

(1769-1832)

 

Sous l’Ancien Régime, les nobles (étant, par définition, nés pour commander), étaient automatiquement officiers ; après sa chute et dès 1789, les grades de l’armée se gagnaient par le mérite, aussi l’armée en a-t-elle gagné en efficacité !

Charles-Mathieu-Isidore Decaen ou de Caen est un général français de la Révolution et de l’Empire est né le 13 avril 1769 à Caen et mort le 9 septembre 1832 à Deuil-la-Barre. Fils d’un huissier au bailliage de Caen, il s'engage dans la marine royale le 27 juillet 1787 en qualité de canonnier de 2e classe au corps des canonniers matelots de la division de Brest, et il quitte le service le 1er juillet 1790. Le 14 septembre 1792, il s'engage de nouveau comme sergent-major au 4e bataillon de volontaires du Calvados, et il sert à l'armée du Nord, puis à l'armée du Rhin. Il se signale l’année suivante à Mayence sous les yeux de Kléber. Il conquiert les grades d’adjudant-sous-officier le 26 mars 1793, de sous-lieutenant le 1er mai suivant, de lieutenant et de capitaine. Kléber, qui défend la place, dit, en parlant de Decaen, « qu’il faudrait lui compter autant de campagnes qu’il y avait eu de jours de siège ». Il fait comme adjudant-général et chef de bataillon les campagnes de la Vendée, sous les ordres des généraux Canclaux, Dubayet, Moreau et Kléber.

  Il est nommé capitaine général des établissements français en Inde par le Premier Consul le 18 juin 1802. Les instructions qu'il a reçues de Bonaparte sont précises : il doit être le précurseur d'un retour massif des Français en Inde, alors en rébellion contre les Britanniques. Arrivé à Pondichéry en juillet 1803, il se heurte au refus du gouverneur général Richard Wellesley de lui remettre les cinq comptoirs en dépit des clauses de la paix d'Amiens, dont on ignore alors la rupture. Plutôt que d'affronter les Britanniques en mer, et conformément à ses instructions, il revient à l’Isle de France (Maurice). Accompagné de Louis Léger, futur préfet colonial, chargé de l'approvisionnement, de l'éducation, de la conservation des forêts, etc., Decaen administre les Mascareignes pendant sept ans au nom de la métropole et s'attache notamment à l'organisation administrative et monétaire de l'archipel. Il cherche également à réorganiser les « traitants » de Madagascar et pour cela envoie d'abord Mariette, puis Sylvain Roux à Tamatave, car ces traitants sont indispensables à l'approvisionnement en riz, en bœufs et en esclaves pour l'Isle de France. En 1810, n’ayant avec lui que 1 200 hommes de garnison, il est attaqué par une armée britannique de 20 000 hommes. Il aura bien pris soin d’organiser la défense de l’île Maurice. Ainsi a-t-il nommé commandant du secteur de Grand Port, Louis-Marie de Lageard, chevalier de Cherval, membre de l’Assemblée coloniale, ancien officier de marine et résidant depuis 1792. Il résiste quelque temps, obtient une capitulation honorable et, en quittant l’île, reçoit dans une adresse que lui votent les colons, l’expression de leur estime et de leur reconnaissance. Durant son séjour sur l'île Maurice, Decaen améliore la situation des esclaves, organise l'éducation nationale, introduit une version adaptée du Code Civil qui devient célèbre sous le nom de Code Decaen.

Peut-être un peu naïf (au cours d'une discussion enfiévrée entre Decaen et Bonaparte au sujet de Moreau, Bonaparte déclare « Vous êtes bon, vous, et vous croyez que tout le monde vous ressemble ») et n'étant pas un des favoris du Premier Consul, Decaen est néanmoins perçu comme un élément utile pour les ambitions orientales de Napoléon.

 

Rappelé à l’activité par Louis-Philippe après la révolution de Juillet, il est nommé président d’une commission chargée d’examiner les réclamations des officiers éloignés comme lui de l’armée sous la Restauration. Il meurt quelques mois plus tard d’une attaque d’apoplexie foudroyante. Sa veuve n'ayant pas beaucoup de moyens demanda une concession perpétuelle pour laquelle elle offrait 200 francs, les tracasseries administratives firent durer cette affaire près de deux ans.

Une loi spéciale du 18 février 1835, octroie à sa veuve une pension extraordinaire de 3 000 francs. Elle devait décéder en 1845. Son tombeau fut déplacé en 1924 et placé le long du mur de la rue de Saint-Prix. Parmi ceux qui perpétuèrent son souvenir, il faut citer les Mauriciens, en 1910, toujours très attachés à ce qui rappelle la France. Ajoutons qu'en 2010 a eu lieu à Ermont une commémoration du bicentenaire du général Decaen, dernier gouverneur Français de l’île Maurice en présence de nombreuses personnalités dont l’Ambassadeur de la République de Maurice.

 

 

Durfort et le débarquement en Angleterre

 

 

Depuis l’invasion conquérante de Guillaume en 1066 jusqu’au XIXème siècle, les Français ont toujours rêvé d’envahir « la perfide Albion». L’un des projets d’invasion qui m’a intéressé est celui de 1779, parce que le lieutenant Louis-Marie de Lageard, chevalier de Cherval est affecté à l’opération en tant qu’aide de camp du comte de Durfort2.

L'historiographie a coutume de stigmatiser ces projets de descente comme conçus par des officiers de l'armée de terre, lesquels ne prendraient pas en compte les facteurs maritimes et assimileraient le passage le plus étroit du pas de Calais à la traversée d'un fleuve. Cette analyse est réductrice, notamment pour le projet qui fait autorité durant le dernier quart du XVIIIème siècle : le plan de Charles-François de Broglie. Ce petit-fils, fils et frère de maréchaux, en charge pendant vingt-deux ans du Secret du roi, a rédigé, avec l'aval de Louis XV, entre 1763 et 1766 un plan de guerre contre l'Angleterre, lequel réactualisé a été présenté à Louis XVI en 17783.

Le plan, d'une grande complexité, prévoit une série de diversions destinées à provoquer la dispersion des forces anglaises. Il prône l'alliance espagnole, mais les deux marines devront agir toujours isolément ( ?). Aux Espagnols reviendrait l'organisation de trois diversions contre Gibraltar, la Jamaïque et l'Irlande. Concomitamment la marine française opérerait une diversion en Écosse, contre Mahon en Méditerranée et renforcerait l'île de France tout en projetant 60 000 hommes sur les côtes du comté de Sussex, là où ont débarqué César, Guillaume le Conquérant et Guillaume d'Orange.

Sartine, le ministre de la marine, obtient de Louis XVI des crédits pour réarmer 52 vaisseaux sur trois ans, mais les Anglais en ont 66, aussi le roi exige l’aide de la marine espagnole, qui peut fournir 50 vaisseaux, comme condition sine qua none à la réalisation du projet.

Finalement, c’est l’épidémie de dysenterie, qui aura fait en France 223.000 morts et qui aura ravagé la Bretagne, qui aura raison de l’ambitieux projet d’invasion.

L’idée d’envahir l’Angleterre a perduré puisque dès 1803, Napoléon installait le Camp de Boulogne à cette fin. Mais ceci est encore une autre histoire !

1 Des Grecs et des Romains imitons le courage !
Attaquons dans ses eaux la perfide Albion !
Que nos fastes s'ouvrant par sa destruction
Marquent les jours de la victoire !
Que le monde vers nous, lentement attiré,

Sente de quels fardeaux nous l'aurons délivré

Et nous pardonne notre gloire.

Augustin-Louis, Marquis de Ximénès, octobre 1793, L'Ère, des Français

2 (A24) 2J 951

3 Arch. nat. AFIV 1597, " Plan de guerre contre l'Angleterre rédigé par ordre du feu Roi dans les années 1763, 64, 65 et 1766 par le comte de Broglie, refondu et adapté aux circonstances actuelles pour être mis sous les yeux de Sa Majesté à qui il a été envoyé le 14 mars 1778 ".

 

Félicité-Jean-Louis-Étienne, comte de Durfort est né à Paris et a été baptisé à Saint-Roch le 4 mars 1752. Il est le descendant d’une longue lignée de militaires et fut successivement : Sous-lieutenant au régiment de Chartres cavalerie, enseigne dans les gendarmes de la garde, colonel en second au régiment de Champagne, mestre-de-camp-lieutenant au régiment Royal-Pologne cavalerie, en 1777, colonel en second au régiment des Cuirassiers du Roi, en 1779, puis colonel au régiment Dauphin-cavalerie, dans le plan d’invasion ; enfin, ambassadeur de France à Venise.

Lors de la réorganisation des corps d'infanterie français du 26 avril 1775 Béarn conserve ses 4 bataillons. Cette même année, le 4e bataillon fut dirigé sur Brest, et il s'embarqua le 20 novembre pour se rendre à Saint-Domingue, où il arriva le 18 janvier 1776. Dans la réorganisation de 1776, les 1er et 3e bataillon formèrent le régiment de Béarn ; les 2e et 4e composèrent le régiment d'Agenois. L'ancien Béarn avait des drapeaux d'ordonnance violet et jaune en quatre carrés.  

Durfort était ambassadeur de France près la république de Venise au moment de la Révolution française. Révoqué en 1792 par Dumouriez (ministre des Affaires étrangères), il se disposait, « parait-il », à rentrer en France, quand il apprit que son nom avait été porté sur une liste d'émigrés, et dut fixer sa résidence en Italie.

Il est mort le 10 mars 1801 à Venise.


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