Les Vigond maîtres de poste à Cercles


Du nouveau sur les Vigond maîtres de poste du relais de Cercles et sur la route postale Limoges Bordeaux (1600-1750)


Les renseignements des registres paroissiaux et des actes notariaux

Les registres paroissiaux

Jusqu’à la Révolution, ce qui relève aujourd’hui de l’état civil, naissances, décès et mariages, était dans les mains du clergé. Ce sont donc les curés des différentes paroisses qui vont tenir pendant la période qui nous intéresse, 1600-1750, les registres d’état civil.
L’acte officiel instituant la tenue obligatoire de « registres des baptêmes et des sépultures »  date de 1539, c’est l’ordonnance de Villers-Cotterêts, signée par François 1er, la même ordonnance qui fera obligation d’utiliser le Français dans tous les actes officiels.
Ce n’est qu’en 1579 que seront créés les registres de mariages. Enfin en 1667 une ordonnance dite de Saint-Germain-en-Laye rend obligatoire le tenue en double des registres, réduisant fortement la perte des informations pour cause de guerres, troubles ou incendies. Un exemplaire dit « grosse » était conservé par le greffe de la sénéchaussée, l’autre « minute », après avoir été visée revenait entre les mains du curé. Mais cette pratique mettra du temps à s’imposer et les premiers registres sont trop souvent perdus ou très dégradés.
En ce qui concerne Cercles ces registres vont de 1662 à 1792, pour La Tour-Blanche de 1682 à 1792. Ils comportent parfois quelques pages illisibles ou déchirées mais pour l’essentiel ces registres contiennent de précieux renseignements.

Les actes notariaux

La deuxième source d’information sur la vie locale, ce sont les actes des notaires ayant exercé sur les territoires de La Tour Blanche, Cercles, Chapdeuil, Bourg des Maisons, Cherval. Dans les actes de ces notaires on trouve les transactions achats/ventes mais aussi les testaments, les inventaires de biens, les relevés de conclusions d’assemblées de la fabrique, les rôles d’imposition.
Ces notaires sont : Montozon (1685-1728) à Bourg des Maisons et Chapdeuil, Bertaud de la Rambaudie (1678-1767) et Chillaud-Desfarges (1765-1808) à la Tour Blanche et Cercles ; Deladoyre Pierre (1721-1771), Luguet-Desgranges Jean Baptiste (1771-1828), Montozon (1685-1728) au Chapdeuil.
C’est en poursuivant l’étude de ces registres paroissiaux et des actes notariaux que j’ai pu établir de manière quasi sure la succession des quatre générations de Maîtres de poste de Cercles, la localisation du relais dans le bourg de Cercles et quelques indications supplémentaires sur le trajet de la route postale dans notre secteur.

Quatre générations de Maîtres de poste

Au cours de recherches précédentes j’avais identifié trois maîtres de poste, de 1665 à 1749, date de la fin de la route postale Limoges Bordeaux passant par Cercles (1750 exactement, mais le dernier Vigond maître de poste décède en 1749).
Un document essentiel me permet d’en ajouter un autre avant 1665, il s’agit de l’inventaire des biens de Pierre Vigond Maître de Poste décédé le 28 janvier 1686 dans le relais de poste. L’inventaire sera fait par le Notaire Montauzon1 le 3 février 1686.
Cet acte va nous fournir de nombreux renseignements sur la famille Vigond et permettre de compléter une généalogie qui comportait quelques « trous », d’établir une « radiographie » d’un petit relais de poste comme était celui de Cercles, et de le localiser dans le bourg grâce à la description des bâtiments parcourus.
Le plus ancien Vigond Maître de Poste à Cercles s’appelle donc Jean Vigond. Il décède en 1642, son fils Pierre lui succède jusqu’à son décès en 1686.
Nous pouvons donc dire que les Vigond ont été titulaires de l’office de maître de poste durant la quasi-totalité du fonctionnement de cette route postale. Avec cependant une inconnue pendant approximativement les 20 premières années de l’existence de cette voie postale et une autre inconnue pendant la période de la Fronde en 1652-53 où Pierre Vigond semble être évincé par les frondeurs au profit d’un certain Bauvays.
L’inventaire nous renseigne également sur les achats de terres effectués d’abord par Jean Vigond, en 1639,1640 (deux achats), 1641, 1642 (par sa veuve ce qui permet d’affirmer qu’il est mort entre 1641 et 1642) et sur les achats de terres de son fils Pierre Vigond qui reprennent à partir de 1660 (deux achats), 1661.

Généalogie des Vigond

Cet inventaire des biens de Pierre Vigond nous donne de nouveaux renseignements sur sa famille. François Vigond son fils, qui va prendre la charge, se fait accompagner de deux cousins : Léonard Valchoumard praticien et Jean Boutin de la Richardie, ces deux personnages sont donc les fils de deux sœurs de Pierre Vigond : Léonard Valchoumard est indiqué comme le fils de Marion Vigond et Jean Valchoumard, par contre nous ignorons de quelle autre sœur de Pierre Vigond Jean Boutin de la Richardie est le fils. Ces nouveaux arrivants dans le tableau généalogique donnent le résultat figurant en Annexe N°1.
Ce tableau montre que la position sociale des Vigond va évoluer par le jeu des mariages avec des familles bourgeoises, les Boutin, Neulet, Joussen, Valchoumard.
L’autre intérêt de cet inventaire réside dans la radiographie d’un petit relais de poste.

Composition et localisation du relais de poste de Cercles

L’inventaire

Suivons le parcours, dans la maison de feu Pierre Vigond,  du notaire Montozon accompagné d’abord de François Vigond, Léonard Valchoumard et Jean Boutin puis de deux « arbitres » pour évaluer le prix des animaux, un autre Montozon et Roux maître maréchal.
Dans la première pièce du rez-de-chaussée de la maison d’habitation, ils trouvent une table ovale et des chaises de menuiserie, deux lits avec toiles et matelas, placard et trois coffres, l’un avec du linge de table (trois douzaines de serviettes grosses et deux de nappes) l’autre avec deux douzaines de linceuls gros et deux de linceuls fins, le troisième contenant des papiers, achats de terres et autres biens, un livre contenant des quittances, ainsi que les (lettres de) provisions2 de poste de feu Pierre Vigond en date du 5 aout 1669 signées par Louvois3.
Dans un placard, ils trouvent 2 paires de sangles, une paire d’estriers, deux croupières, une têtière à brides neuve.
Toujours dans la première pièce ils trouvent six chaises de menuiserie garnies de toile toute usée et un tapis déchiré, un petit miroir accroché à la fenêtre qui donne sur le chemin qui va de Cercles à La Tour Blanche, un livre intitulé « La vie des saints », un peu de vaisselle : 4 grands plats, 4 communs, quatre assiettes communes et 18 petites et deux petites salières, une aiguière et son couvercle pesant 60 livres poix de marc4 , puis un fusil, deux pistolets et une épée, deux landiers de fer battu pesant 60 livres plus deux crémaillères avec une barre de fer traversant la cheminée, une plaque de fer au foyer de la cheminée et une poêle en fer pesant six livres.
Dans l’antichambre, un saloir de bois tenant 12 seaux5, une cruche à huile de quatre seaux.
Dans une autre chambre de plain-pied, une table avec tréteaux de menuiserie, un châlit tout usé, une maie à pétrir la pâte à pain de quatre boisseaux6 de contenance. Un grand coffre contenant 15 à 16 boisseaux dans lequel il y avait 8 livres de chanvre étoupe et trois de brins, deux marmites de 6 pintes chacune7, deux pots de trois pintes avec leurs couvercles, deux bassines de 2 seaux, 3 chandeliers et une lampe de cuivre pesant 5 livres, une paire de bottes avec leurs éperons forts usés. Plus une broche de fer, une poêle et six cuillères d’étain.
Dans la chambre suivante, une vieille méchante8 table, un buandier de terre avec sa chaudière de fonte tenant six seaux, une vieille armoire tout usée.
Montant à l’étage le notaire trouve dans une première chambre, trois lits avec chacun leurs couvertes, matelas, coites et traversins avec leur garniture de grosse Berguame9, une table ronde de menuiserie couverte d’un tapis de grosse Berguame, avec trois chaises toutes usées, une paire de landiers de 16 livres.
Dans l’autre chambre de plein pied, deux forts méchants châlits, une paire d’habits du défunt Pierre Vigond, l’un de drap gris presque neuf et l’autre de drap blanc tout déchiré et un méchant chapeau plus une paire de landiers pesant 15 livres. De là passant sur les galeries, le notaire accompagné de ses témoins passe dans une autre chambre de l’étage.
Ils y trouvent une table, trois grandes méchantes barriques et dix livres de laine.
De là ils montent au grenier dans lequel ils trouvent : une pipe de mesure10, douze boisseaux de froment, cinq boisseaux de baillarge11, dix de seigle, huit d’avoine et trois cruches d’huile tenant chacune cinq seaux.
En sortant du grenier et en descendant ils entrent dans un cabinet dans lequel ils trouvent l’enseigne et (sauvegarde?) du Roy toute déchirée, puis en descendant encore les degrés12 un cabinet dans lequel ils trouvent une paire de chaînes à attacher les bœufs et deux ruches tenant environ deux boisseaux chacune.
Descendant encore l’escalier, ils arrivent dans la cour et entrent dans l’écurie. Ils y trouvent deux chevaux et trois juments estimés par Jean Montozon et François Roux maître maréchal à cinquante écus13, plus leurs harnais estimés à 27 livres dix sols par lesdits arbitres. Dans le grenier à foin ils trouvent six charretées de foin provenant tant de la prairie de La Tour Blanche que du pré de Me Carrier. De là ils empruntent un courroir joignant l’écurie dans lequel ils trouvent une cuve sans cercle et trois méchantes barriques sans cul des deux côtés.
Ils se rendent ensuite dans la cave où ils trouvent trois barriques de vin pur et net, plus une demi-barrique de vinaigre plus six grosses barriques vides.
De là ils remontent dans la cour où se trouve le puits, et tous les appentis joignant le puits, où ils trouvent 150 fagots et une demi brasse de bûches. Ils traversent ladite seconde cour et entrent dans une grange où ils trouvent un pressoir à vin et une charrette de foin et une charretée de paille appartenant au sieur des Chabanes (Jean Vigond), oncle de François Vigond.
Le notaire Montozon et les témoins se rendent ensuite au village de la Roche où ils entrent dans une grange dans laquelle ils trouvent une paire de veaux estimés à cent livres, plus une charrette garnie ayant roues essieux et tout ce qui peut la rendre en état de service laquelle a été estimé par les dits arbitres à dix écus plus une charretée de foin.
De là ils se rendent dans l’étable aux pourceaux dans laquelle ils trouvent une truie et deux pourceaux estimés à 12 Livres, puis à la bergerie où ils trouvent 27 brebis.
L’inventaire se termine par les formules d’usage et il est signé14 en présence des frères Pierre sieur de la Treille et Jean sieur de la Bouyge Deladoyre habitants au village du Breuilh paroisse de Celle en Périgord, de François Vigond, Léonard Valchoumard, Jean Boutin, Montozon et des Deladoyre.

Cercles : un petit relais de poste

Cet inventaire est très éclairant, nous sommes en présence d’un relais de poste de petite taille, avec seulement cinq chevaux, ne faisant apparemment pas auberge. Ce constat de 1686 ne préjuge pas de ce qu’a pu devenir le relais de poste dans le demi-siècle suivant, mais, à part les relais situés sur des croisements de routes postales très fréquentées comme celle de Paris Bordeaux et Paris Toulouse, à la fin du XVIIe siècle, la plupart des relais de postes de la route postale Limoges Bordeaux devaient ressembler à celui de Cercles. Soixante ans après, la description du relais d’Aixe-sur-Vienne qui comptait dix chevaux, peut donner un aperçu de l’évolution de ces relais de poste.
Le deuxième constat que nous pouvons faire c’est que le maître de poste ne vit pas dans le luxe, le mobilier est simple mais qualifié de menuiserie, ce qui indique qu’il s’agit de tables et chaises sortant de l’ordinaire. Le seul objet « de luxe » est l’aiguière en métal pesant 60 livres de poix de marc.
Par contre la liste des acquisitions de terres et transactions diverses est importante (vingt sept) et va encore s’accélérer avec les deux générations suivantes.
Le maître de poste comme nous pouvons le voir possède une exploitation agricole complète  avec des vignes, des prés, des terres à céréales, de l’élevage.

La localisation du relais de poste

Deux indications nous permettent de le situer très précisément :
  • Dans la description de la première pièce du rez-de-chaussée il est indiqué à propos d’un miroir qu’il est accroché à La fenêtre qui donne sur la route qui mène de Cercles à La Tour-Blanche.
  • La deuxième concerne l’existence d’un puits : dans la cour où se trouve le puits
Dès lors aucun doute n’est possible, il n’existe qu’un seul puits à ce carrefour de routes, celui situé actuellement dans la petite cour jouxtant la Mairie. Le relais était donc situé dans le bâtiment de l’actuelle Mairie, au carrefour des routes de Cercles à la Tour-Blanche et de celle de Cercles à la Chapelle-Montabourlet. Les granges dont il est question dans l’inventaire n’existent plus elles ont été remplacées par d’autres au XIXe siècle, elles se trouvaient le long de la route qui mène à la Chapelle-Montabourlet, et on en trouve la trace sur le cadastre « napoléonien »15.

La route postale

Cette localisation permet de préciser le parcours des « chevaucheurs du roi » dans notre secteur. Arrivés par la route de Limoges à Bordeaux (la diagonale d’Aquitaine), à la sortie de la forêt de Saint Jammes, ils ne continuaient pas en direction de La Tour-Blanche, mais contournaient le village par le sud pour entrer dans Cercles, passaient au sud du château de La Tour-Blanche et rejoignaient de nouveau la route Limoges Bordeaux au niveau du bois des Halas.
Un autre document provenant « de par le Roy et nosseigneurs des requêtes du palais »16 nous donne d’autres indications sur le trajet à la sortie du bois des Halas en direction du relais suivant L’Ambaudie (Bertric-Burée). Il s’agit du descriptif de la châtellenie de La Tour-Blanche achetée par Thibaud de Labrousse comte de Verteillac en 1739 à Charles Adélaïde Sainte Maure et qui est mise en vente aux enchères, pour non-paiement des droits afférents à cet achat. Dans la description des biens attachés à la métairie du Feys17, il est question « d’une pièce de vigne appelée a las plantas confrontée au levant et midi au grand chemin de poste qui conduit de Cercles au Chalard18 ».

Une lettre de Briançon pour La Tour-Blanche à la poste de Cercles en 1710

Dernier élément glané au fil de mes recherches dans les actes notariaux, une lettre partie de Briançon le 5 février 1710 pour La Tour Blanche par la poste de Cercles (Annexe 5).
Il s’agit, bien que l’orthographe improbable rende le contenu obscur, d’une lettre d’un militaire en garnison à Briançon, écrivant à son frère. L’adresse est assez drôle, l’expéditeur rajoutant, entre autres fantaisies, des x à la fin des mots, ce qui donne :
Monsieur de Mourloux obergistrex à Latroublanche prochex de Serclex anperigor a latroublanche anangoumoix route de limogex
L’objet de cette lettre, difficilement interprétable concerne les dispositions à prendre concernant la vente d’un bien provenant sans doute d’un héritage. Le seul renseignement intelligible de cette lettre est l’indication à la fin de la missive :
« Londit que nous aurons dans le briançonnais la campagne (militaire) qui vient soixante-dix mille homme pour aller a Suze et a Fenestrelle »
En 1710 nous sommes dans les deux dernières années de la guerre de succession d’Espagne qui voit s’affronter Louis XIV à L’Angleterre, les Pays Bas, l’Autriche et le Duc de Savoie réunis. Briançon est une place importante dans le dispositif de défense des frontières sous Louis XIV, elle sera fortifiée sur les indications de Vauban (lors d’une tournée de celui-ci en 1700). Les deux villes de Suze et Fenestrelle dont il est question dans la lettre, seront échangées lors du traité d’Utrecht(1713) contre Barcelonnette.

Gabriel Duverneuil le 27 Juillet 2014

1 AD 24 : 3 E 143

2 La lettre de provision d’un office (dans ce cas l’office de maître de poste) est l’acte par lequel le roi (ou son ministre) octroie moyennant finance la charge et le titre d’une fonction à caractère administratif ou technique, le titulaire de cette charge est officier.

3 François Michel le Tellier Marquis de Louvois, ministre de Louis XIV surtout connu pour avoir été le ministre de la guerre, fût également surintendant général de 1664 à 1691 et a activement travaillé à établir le monopole des postes.

4 1 livre de poids de marc= 490 grammes

5 1 seau= 10 à 12 litres

6 1 boisseau = 12 litres

7 1 pinte= 0,95 litre

8 Méchante : en mauvais état, usagée. Ce terme revient souvent dans les inventaires de notaires.

9 Toile de Bergame : au XVIIe siècle on appelait ainsi une toile solide proche de la tapisserie, en provenance de Normandie (Rouen, Elbeuf). Ce type de toile était originaire de Bergame en Italie.

10 La pipe était une mesure de futaille, elle était variable selon les régions, la pipe de Cognac valait 600 litres celle de la Rochelle 593 litres.

11 Baillarge : orge de printemps

12 Degrés : escalier

13 1 écu = 3 Livres Tournois

14 Voir le fac-similé de la fin de l’acte en Annexe 2

15 Voir le détail du plan de cercles actuel et celui du cadastre « Napoléonien » en annexes 3 et 4

16 Bibliothèque municipale de Périgueux : fonds Lapeyre, 36 g

17 Feys : actuellement un hameau de la commune de Bourg des Maisons

18 Le Chalard : ancien passage à gué sur la retenue d’un moulin situé sur la Dronne à Ribérac


Cliquer sur l'image pour l'agrandir.

Annexe 1


Généalogie des Vigond maîtres de postes à Cercles

Annexe 2

Fac-similé de la fin de l'inventaire des biens de Pierre Vigond avec les signatures


Annexe 3 et 4
Plans cadastraux du bourg de Cercles, actuel et napoléonien

plan Napoléonien
plan actuel





Annexe 5
Fac-similé de la lettre de Briançon pour La Tour Blanche à la poste de Cercles

Gabriel Duverneuil le 27 Juillet 2014

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